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5 Mai 2019
Marc Ladreit de Lacharrière, PDG de Webedia :
"Nous voulons être un petit Disney"
Webedia, c'est notamment ALLOCINÉ, 750g ou Millenium, en France. Et une constellation d'autres sites à l'étranger. Quelle est la logique d’ensemble ?
C'est une vingtaine de marques sur trois univers fondamentaux : le cinéma, le gaming et la food. L'originalité de notre démarche tient notamment à notre relation avec les Gafa, dont nous sommes complémentaires et auxquels nous ne sommes pas substituables. Prenons ALLOCINÉ : si vous décidez demain d'aller voir un film à Sydney, il vous suffira d'aller sur Google ou Facebook pour faire votre choix. Mais, petit détail, c'est nous qui fournissons, clés en main, les informations à ces deux plateformes, en vertu d'accords éditoriaux que nous avons passés avec elles. Résultat, Webedia est aujourd'hui numéro deux mondial sur l'information en lien avec le septième art.
Est-ce la même chose avec le gaming ?
Oui. Nous sommes, là aussi, le deuxième fournisseur mondial d'informations sur les jeux vidéo, avec une multitude de sites dont le plus connu est Millenium. Sans compter les 700 youtubeurs qui nous sont affiliés. C'est gigantesque. Cette branche totalise à elle seule 2 milliards de vues par mois et 750 millions d'abonnés. Quant au dernier pôle, la food, la cuisine, s'il est moins bien positionné sur le plan mondial, il est numéro deux en France avec 750g. Et leader au Brésil, en Espagne ou au Moyen-Orient. Là encore, nous avons passé des accords avec Google, auquel nous fournissons des recettes qu'il propose aux internautes.
Qu'apportent ces youtubeurs associés ?
Ce sont des relais de croissance très importants. Avec huit des dix talents dans le top 10 en France, dont Cyprien, Norman ou Squeezie et des stars mondiales comme l'Américain Vanoss, les Espagnols El Rubius et Vegetta777 [24, 34 et 26 millions d'abonnés respectifs]. Cette écurie nous place en troisième position à l'échelle du globe, derrière Disney et Warner. Webedia leur apporte ainsi une visibilité accrue et un développement à l'étranger. Demain, ils auront des prolongements à la télévision, au cinéma ou sur scène, par exemple à travers le réseau de salles de spectacles de notre filiale Fimalac Entertainment.
Vous avez à l'égard des Gafa une démarche opposée à celle des acteurs de l'audiovisuel en France et des pouvoirs publics. Pourquoi ?
Parce qu'il est illusoire d'imaginer rivaliser avec ces mastodontes qui ont fait de l'Europe continentale leur marché. J'aurais préféré qu'on les crée, plutôt que d'en être réduit à les taxer ! Mais, dans la situation actuelle, il faut imaginer des complémentarités, c'est beaucoup plus pertinent. C'est ainsi que l'on défendra le mieux l'exception culturelle européenne et notamment française.
Le mariage entre numérique, youtubeurs et salles de spectacle - notamment la salle Pleyel et la quinzaine de Zéniths dont vous êtes propriétaire -, est-ce l’avenir ?
Il y aura obligatoirement des passerelles. Il va de soi qu'avec l'explosion du numérique le spectacle vivant va devoir s'adapter à l'égard des millennials, auxquels il va nous falloir proposer des spectacles sans doute plus interactifs. Avec de nouvelles écritures qui correspondent à leurs attentes. Le nécessaire rajeunissement du public passe aussi par là.
Irez-vous dans la télévision en rachetant par exemple une fréquence TNT pour y placer vos contenus, vos talents ?
Pourquoi pas, si c'est complémentaire à nos activités. Ce n'est pas un domaine qui m'est inconnu puisque j'ai eu 2 % de Canal+ en 1985-1986, au moment où la chaîne était en quasi-faillite. Et j'ai aussi été le second actionnaire de NextRadio, maison mère de BFMTV et groupe d'Alain Weill, jusqu'à sa vente à Patrick Drahi. Mais l'enjeu premier, la valeur fondamentale, ce sont les contenus et leur mondialisation. Webedia a pour vocation de devenir un petit Disney. Je veux faire rayonner la création française à l'international, pour qu'on ne se lamente pas dans dix ans en constatant que les Netflix ou Amazon ont gagné la bataille. Et je vais m'en donner les moyens.
Par quoi cela passe-t-il ?
Il faut d'abord, là encore, faire revenir les millennials à la télévision en reprenant les codes du numérique et leur grammaire. Contrairement aux idées reçues, je pense que les frontières entre l'ancien et le nouveau monde sont poreuses. L'autre priorité, c'est la création de contenus originaux made in France pour ces grandes plateformes. L'exception culturelle française doit aussi s'exprimer et exister chez Netflix, Amazon et les autres, de manière à ce que nous contribuions au rayonnement culturel de notre pays.
Ce qui suppose des investissements...
Oui. C'est l'une des raisons du rapprochement entre Webedia et Eléphant, la société de production d'Emmanuel Chain : le mariage entre les meilleurs talents du numérique et le meilleur de la télévision.
Est-ce aussi pour ça que vous venez de prendre 6 % du capital de Financière Lov, dirigé par le producteur Stéphane Courbit ?
Il s'agit d'une alliance et du début d'une autre aventure. Avec à la clé des projets de coproductions internationales impliquant par exemple nos talents ou les communautés digitales de Webedia.
Comment envisagez-vous le proche avenir ?
L'or noir de ce métier, ce sont les data, c'est-à-dire les données des centaines de millions de visiteurs et d'abonnés à travers le monde que les annonceurs convoitent. Ce marché est balbutiant en France mais explose, avec une croissance mondiale de 30 % par an et 100 milliards de dollars de recettes à l'horizon 2020. Notre filiale Tradelab est aujourd'hui leader en France, avec un taux de croissance de 25 à 30 % par an. C'est dire. Une autre priorité est d'exporter nos technologies. La France a la chance d'avoir les meilleurs ingénieurs du monde. Webedia, c'est 400 ingénieurs et développeurs qui travaillent sur des algorithmes, l'intelligence artificielle et le traitement de ces data. Or tous ont choisi de rester à nos côtés plutôt que de partir à l'étranger.
Et que dites-vous pour les fidéliser ?
Que notre objectif est de doubler notre chiffre d'affaires à l'horizon...
De dix ans ?
Dix ans ? Non ! Dans les cinq ans ! Si ce n'est pas plus tôt. Vous ne pouvez pas savoir ce bonheur qu'est le mien de participer à l'émergence, à la construction d'un monde nouveau.
Propos recueillis par Renaud Revel - Le Journal du Dimanche