Le blog de Fimalac

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Toutes les actualités de Fimalac (F. MARC DE LACHARRIERE)

Interview de Marc Ladreit de Lacharrière - Paris Match

En rachetant le théâtre de Paris, les Bouffes-Parisiens et la Michodière, le patron de Fimalac possède désormais 20 % des fauteuils de la capitale. Rencontre avec un philanthrope qui s’éclate.

C’est plus fort que lui, Marc Ladreit de Lacharrière aime mélanger les genres. Il aime lire « Les Echos » et « La Gazette Drouot ». Cet éclectisme ne date pas d’hier. On ne sait jamais s’il est à gauche, à droite, devant ou derrière. A peine diplômé de l’Ena (promotion Robespierre !), il quitte l’administration. Direction la presse, où il fonde l’hebdomadaire « Mademoiselle ». Puis vient la banque. Et ensuite L’Oréal. C’est vraiment l’homme pressé. Mais là, même chose : parvenu à la vice-présidence, il démissionne. Très bonne idée : en montant sa propre société financière, il devient richissime. Sauf que voilà, l’argent est un bon serviteur mais un mauvais maître.

Pas question de ne se consacrer qu’à lui. Car Marc Ladreit de Lacharrière a une autre passion : la culture. On le connaît comme amateur d’arts premiers, et il a offert il y a deux ans une magnifique collection au musée du Quai Branly-Jacques Chirac. Mais il s’est aussi battu pour le Louvre Abu-Dhabi et, depuis des années, avec sa fondation Culture et Diversité, il a mis beaucoup de passion et d’argent pour amener les jeunes de quartiers défavorisés là où ils n’allaient jamais. Cela dit, comme tout un chacun, il a des goûts plus ardents que d’autres. On savait déjà qu’il appréciait la sculpture mais sa passion, c’est le théâtre. Ça ne date pas d’hier.

Sa mère qui était monteuse au cinéma lui en a communiqué le goût dès la petite enfance. Incroyable mais vrai : à 10 ans, il a même eu pour professeur de récitation Jacques Toja, qui deviendra plus tard administrateur de la Comédie-Française. Lui-même sera le prof de maths particulier de Jean-Michel Ribes. Pas sûr que ce soit une référence pédagogique exceptionnelle. Lancez-le plutôt sur le répertoire du Français : il a tout vu. Et souvent plusieurs fois. « Cyrano de Bergerac », qu’il soit joué par Belmondo, Depardieu ou Weber, le fait encore pleurer. Ce besoin d’entrer dans les salles ne le quitte jamais. A New York, où il allait souvent quand il possédait l’agence de notation financière Ficht, il connaît toutes les scènes de Broadway. La dernière pièce qu’il a vue : « Hamilton », où les héros blancs sont interprétés par des Noirs. Le genre de provocation qu’il aime. Inutile de dire que le boycott des « Suppliantes » d’Eschyle à la Sorbonne l’a navré. Si Philippe Brunet, son metteur en scène, a encore la foi, Marc Ladreit de Lacharrière serait sûrement ravi de remonter sa pièce. Car, pour lui, c’est ça le théâtre : un lieu qui casse les barrières. Et, surtout, un des derniers endroits où on se rassemble, où on communie avec des artistes et où on partage des émotions. Presque un lieu sacré comme, autrefois, les églises.

Or, dans le monde actuel, celui du digital (où ses entreprises se taillent une place importante), l’absence de relations humaines s’aggrave et le préoccupe. D’où son engagement en faveur de cet art tellement important pour l’identité de la France et, indirectement, sa force d’attraction. Et là, faites-lui confiance, quand Marc Ladreit de Lacharrière s’engage avec conviction, ce n’est jamais à moitié. En quelques années, il est devenu le premier acteur du théâtre parisien. Sur les 28 363 places offertes chaque soir par la Ville lumière, il en gère 5 794. Des salles prestigieuses pour leur âme et pour leur histoire. Toutes ou presque appartiennent au patrimoine artistique de la capitale. Parmi elles, Marigny où régnèrent Renaud et Barrault, la Madeleine où Guitry scintillait, la Porte-Saint-Martin où on jouait les pièces de Victor Hugo, le théâtre de Paris où Proust allait voir Réjane, les Bouffes-Parisiens d’Offenbach puis de Brialy, la Michodière de Pierre Fresnay.

Son goût le porte vers des pièces illustrant un fait de société, traité avec humour et laissant à la fin place à l’espoir. Mais pas de caporalisme chez lui : il laisse carte blanche à ses directeurs. Avec, pour eux, une consigne de rêve : ne jamais sacrifier l’exigence artistique à la rentabilité financière. Sans, pour autant, jeter l’argent par les fenêtres. Car, s’il ne veut pas en perdre, il refuse aussi de faire du dumping économique qui mettrait en danger les autres salles de la ville. C’est sa liberté. Il fait ce qu’il veut et n’a de comptes à rendre à personne. Un rêve. Pourvu que ça dure longtemps !

 

Marc Ladreit de Lacharrière : « Ma mission est de casser la barrière entre le théâtre privé et le théâtre public »

 

Pourquoi avez-vous fait l’acquisition de trois nouveaux théâtres ?

Marc Ladreit de Lacharrière. Je me suis donné comme défi de les remettre en bon état de marche et d’en faire de vrais petits joyaux. D’où les 20 millions de travaux à Marigny, les 8 à la Porte-Saint-Martin et les travaux prévus dans les trois que nous venons d’acquérir. Nous avons acheté des fonds de commerce, les murs appartiennent à des familles qui, souvent, n’ont pas les moyens de faire des travaux. C’est donc ma responsabilité de les faire, une forme de mécénat culturel fort, car la rentabilité qui en découle, je ne la vois pas venir. Mais c’est très important pour moi. Les frontières entre le business et la philanthropie sont parfois difficiles à définir.

On dit souvent qu’il y a trop de salles à Paris. Etes-vous d’accord ?

Non, il faut au contraire qu’il y en ait plus. Il faudrait rétablir la taxe de 2,5 % sur le prix des billets qui permet de financer les petits spectacles. C’est de la responsabilité de ceux qui réussissent dans les grands théâtres de les aider. C’est d’autant plus facile pour moi que je possède 100 % du capital de ma société. Je fais ce que je veux, je n’ai de comptes à rendre à aucun actionnaire. Plus il y a de salles, plus on arrive à faire venir les gens au spectacle vivant.

Vous cherchez à casser la barrière entre théâtre privé et théâtre public, en ayant notamment programmé “Ça ira”, de Joël Pommerat, à la Porte-Saint-Martin.

Oui, c’est une mission que je me suis donnée. Le public se fiche de savoir si le spectacle a été créé dans un théâtre privé ou public. Ma stratégie, et la feuille de route de mes directeurs, est de faire en sorte qu’on casse cette barrière. Quand Jean Robert-Charrier m’a parlé du projet “Ça ira”, une pièce sur la Révolution qui dure 4 h 30, ça allait tout à fait dans mon sens. C’est une pièce qui parle de faits de société, qui raconte Louis XVI, des Etats généraux jusqu’à l’échafaud. Elle résonnait totalement avec les gilets jaunes. Sauf que, au XVIIIe , le roi se faisait couper la tête et qu’aujourd’hui le monarque républicain risque de ne pas être réélu.

Ça a marché ?

Ça a été un énorme succès public. Mais nous savions qu’avec 42 comédiens nous allions jouer à perte. Nous avions aussi pris la décision d’avoir des tarifs bas. En contrepartie, Jean Robert-Charrier propose des spectacles à la Porte-SaintMartin qui gagnent de l’argent. Et “Ça ira” a perdu moins d’argent que ce que nous avions prévu, le public nous a suivis.

Faut-il des stars sur les planches ?

Les pièces de Michalik ou de Pommerat cartonnent sans tête d’affiche. Je veux de l’exigence et de l’éclectisme. Donc des pièces de très haute qualité, où nous privilégions le contenu. Mais pour l’éclectisme, il faut aller dans toute la gamme de productions, de la comédie, de l’humour, qui permettent d’avoir des artistes connus. Cela donne Eric Dupond-Moretti à la Madeleine qui raconte sa vision de la justice, mais aussi Michel Sardou à la Michodière qui remplit sur son nom.

Vous mêlez-vous de la programmation de vos salles ?

Non. Je veux de l’audace, mais je n’interviens pas, je fais confiance à mes directeurs. Aurélien Binder est le patron de toute ma filière théâtre, c’est lui qui discute avec les uns et les autres.

A la rentrée, vous produisez le retour de “Starmania”, qui sera mis en scène par Thomas Jolly. Un choix étonnant.

Un choix audacieux ! Il est issu du théâtre public. S’il s’attaque à une comédie musicale populaire, c’est parce que le projet lui plaît. Il ne fait pas ça pour l’argent. Pour nous, c’est une autre pierre dans le jardin du théâtre public. Ils ne sont pas tous heureux de l’arrivée de Jolly chez nous… Mais j’invite volontiers Stéphane Braunschweig, le directeur du théâtre de l’Odéon, à venir voir ce que l’on fait.

En avril, la Comédie-Française s’installe à Marigny. Le plus bel exemple de mélange entre public et privé ?

La meilleure preuve que le privé peut accueillir le public. La Comédie-Française va proposer un répertoire assez classique. Sauf peut-être le Proust de Christophe Honoré. Mais ils sont à Marigny comme s’ils étaient chez eux. Nous leur louons la salle, et ils en font ce qu’ils veulent. Ils établissent leurs propres prix de billet. C’est une idée merveilleuse, en accord avec ma stratégie.

Des salles à Paris seraient bientôt en vente, le théâtre Hébertot, la Renaissance, l’Atelier. Serez-vous acquéreur ?

Je n’ai jamais démarché personne. Si ces théâtres sont à vendre, j’espère qu’il y aura d’autres groupes qui seront acquéreurs. J’ai déjà 20 % des fauteuils parisiens…

Qui sont vos concurrents ?

Je n’en ai aucun. Ce n’est pas un mot qui existe dans ce domaine. Quand Jean-Luc Choplin décide de faire “Peau d’âne”, je ne vois pas où est la concurrence… A New York ou à Londres, éventuellement.

Avez-vous souffert des grèves ?

Marigny et la Madeleine, oui. La Porte-Saint-Martin un peu moins. On estime notre manque à gagner autour de 5 millions d’euros. “War Horse” avait très bien démarré et s’est écroulé, car la Seine Musicale est une salle éloignée. Les spectateurs ne pouvaient pas y venir, malgré la navette fluviale mise en place. Mais quand ça ne marche plus, ça ne marche plus…

 

Interview réalisée par Gilles Martin-Chauffier et Benjamin Locoge pour Paris Match

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