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Comment renforcer la cohésion nationale par la culture ? Bilan des rencontres de la Revue des Deux mondes dans le cadre du Grand Débat national

La culture ne figure pas parmi les thèmes retenus par le président de la République pour le grand débat national. Pourtant elle constitue un élément essentiel de la cohésion nationale et du lien social dont on déplore tant la perte. Voilà pourquoi la Revue des Deux Mondes a organisé le lundi 11 mars une matinée de rencontres, réflexions et propositions autour de la culture dans le cadre de la Fondation Dosne-Thiers à Paris.

 

« Un objectif final : alimenter le débat avec des propositions concrètes, des exemples inspirants, des pistes de travail. »

 

La séance était gratuite, ouverte au public, et a permis à des acteurs du monde de la culture d’échanger autour de la transmission, de la démocratisation des arts et de la culture, de faire un état des lieux et d’en pointer les manques, les failles et les défauts. Un objectif final : alimenter le débat avec des propositions concrètes, des exemples inspirants, des pistes de travail.

En ouverture des débats, Marc Ladreit de Lacharrière, président d’honneur de la Revue des Deux Mondes et membre de l’Institut, a rappelé la célèbre formule de Winston Churchill lorsqu’il refusa de réduire les budgets alloués à la culture durant la guerre : « Si ce n’est pas pour la culture pourquoi nous battons-nous ? » Il faut initier les enfants à la culture dès le plus jeune âge, a-t-il ajouté, « car l’ignorance conduit à l’intolérance, l’intolérance à la violence et à la perte de l’identité nationale ».

Marc Ladreit de Lacharrière, président d’honneur de la Revue des Deux Mondes et membre de l’Institut et Erik Orsenna, écrivain et membre de l’Académie française, lors du débat organisé par la Revue des Deux Mondes à la Fondation Dosne-Thiers dans le cadre du grand débat national, le lundi 11 mars 2019. © Pierre Perusseau / Bestimage

Marc Ladreit de Lacharrière, président d’honneur de la Revue des Deux Mondes et membre de l’Institut et Erik Orsenna, écrivain et membre de l’Académie française, lors du débat organisé par la Revue des Deux Mondes à la Fondation Dosne-Thiers dans le cadre du grand débat national, le lundi 11 mars 2019. © Pierre Perusseau / Bestimage

 

Est-ce à dire que nous sommes en guerre ? Pour tous les participants aux tables rondes qui se sont succédé, la culture en tout cas est un sport de combat, tant il faut d’énergie pour faire vivre, transmettre et trouver les financements dans les différents secteurs.

 

« La réponse à apporter à l’insécurité et à l’insuffisance culturelles est urgente car le sentiment d’être exclu du “monde d’en haut” se lie à l’amertume d’être privé “de la beauté des choses”. »

 

Mais la France fourmille aussi de bonnes volontés, d’idées, de passeurs, de médiateurs et d’acteurs qui ne demandent qu’à s’investir davantage dans cette cause nationale. La réponse à apporter à l’insécurité et à l’insuffisance culturelles est urgente car le sentiment d’être exclu du « monde d’en haut » se lie à l’amertume d’être privé « de la beauté des choses ». C’est ce qu’a très bien expliqué Ingrid Levavasseur, figure historique des « gilets jaunes », invitée du débat : la première demande de ceux qui ont occupé les ronds-points était d’ordre économique mais, a-t-elle ajouté, cela ne nous empêche pas de regretter pour nous-mêmes et nos enfants que l’accès à la culture soit si compliqué.

« La première bibliothèque est à 10 kilomètres de ma ville (Pont-de-l’Arche), je n’ai pas les moyens de payer des places pour des spectacles pour trois personnes car je ne bénéficie pas des gratuités et des réductions réservées aux demandeurs d’emploi. Je ne peux pas accompagner mon fils, qui voudrait jouer de la musique, à Rouen ou à Louviers le mercredi après-midi car je travaille et il n’y a pas de transport en commun. Le Conservatoire est hors de prix. » Par ailleurs, Ingrid Levavasseur regrette que, à cause de la baisse des dotations aux collectivités territoriales, un projet d’espace culturel à 300 000 euros par an que souhaitait mettre en place le maire de sa ville, n’ait pas pu aboutir.

 

Teresa Cremisi, éditrice, Laurent Petitgirard, compositeur, chef d’orchestre, secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, et Ingrid Levavasseur, aide-soignante et figure des « gilets jaunes », lors du débat organisé par la Revue des Deux Mondes à la Fondation Dosne-Thiers dans le cadre du grand débat national, le lundi 11 mars 2019. © Pierre Perusseau / Bestimage

Teresa Cremisi, éditrice, Laurent Petitgirard, compositeur, chef d’orchestre, secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, et Ingrid Levavasseur, aide-soignante et figure des « gilets jaunes », lors du débat organisé par la Revue des Deux Mondes à la Fondation Dosne-Thiers dans le cadre du grand débat national, le lundi 11 mars 2019. © Pierre Perusseau / Bestimage

 

Teresa Cremisi : « Malheureusement la culture n’est pas pour tout le monde : elle est démocratique car elle ne dépend pas de la richesse, et non démocratique car la richesse ne la garantit pas. »

 

Pour Laurent Petitgirard, compositeur et chef d’orchestre, secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, il faut démocratiser la culture sans baisser son niveau. Ainsi il n’est pas favorable au pass Culture lancé par le gouvernement qui consiste en un crédit de 500 euros donné à chaque jeune l’année de ses 18 ans, par le biais d’une appli qui lui donne accès à de la musique, des films, des livres, des spectacles, des événements culturels. « Les jeunes vont acheter des séries et des jeux vidéo, est-ce vraiment intéressant ? Il faut de l’exigence, de l’ambition, un cahier des charges et un suivi. » Laurent Petitgirard préconise donc un passeport culture dès l’âge de 10 ans, dans lequel seront répertoriées les différentes activités culturelles et artistiques que l’adolescent aura abordées dans le cadre de son apprentissage scolaire. Avec de véritables offres de qualité et une concentration particulière sur les territoires les plus isolés et démunis culturellement.

L’État doit-il être encore plus présent au sein de la culture ? Pour Teresa Cremisi, éditrice, qui a longtemps dirigé les éditions Flammarion, la réponse est non. « La France fait plus que n’importe quel pays au monde pour la culture. Elle aide, elle subventionne. Nos musées, notre littérature, notre cinéma sont des fleurons. Nous avons les plus beaux livres de poche, les moins chers. Pour 5 euros, on a accès à tout le patrimoine littéraire français et international. Mais qui donne l’envie ? L’amour de l’art de la culture n’est pas une question de moyens. La culture fleurit n’importe où. Il existe des gens privilégiés qui ont tous les moyens possibles et qui n’ont aucune aspiration culturelle. Malheureusement la culture n’est pas pour tout le monde : elle est démocratique car elle ne dépend pas de la richesse, et non démocratique car la richesse ne la garantit pas. Ce n’est pas l’argent qui est une frontière culturelle. Ce qui compte c’est l’envie, comment la faire naître et l’accompagner. On a seize ans, le temps de la scolarité, pour faire naître cette passion chez les enfants. Le ministère de la Culture est là pour perpétuer, non créer. Les artistes font plus que lui pour le rayonnement de la culture française. »

 

Hervé Digne : « Il faudrait ne plus avoir honte de la culture, qu’elle redevienne un objectif assumé car elle est un élément nécessaire pour vivre en communauté et faire nation. »

 

Parfois, lorsque l’État s’en mêle, c’est un coup de génie : ainsi la loi Lang qui a fixé le prix du livre et qui a permis de sauver les libraires. « Voilà un exemple de loi qui n’a rien coûté, poursuit Teresa Cremisi, et qui a apporté beaucoup car en sauvant des librairies on maintenait aussi le lien social dans les petites villes… »

Hervé Digne, qui fut directeur de la Collection Lambert à Avignon et qui préside aujourd’hui Manifesto, un organisme chargé d’introduire l’art au cœur de la ville par le biais des projets immobiliers, souligne qu’un « nouveau système se met en place : les entreprises, leurs fondations et les ONG prennent en charge un financement de la culture et de l’accès à la culture qui n’existait pas auparavant ». Il s’étonne que l’État ne s’intéresse pas plus au développement culturel (la cause en est peut-être le manque de formation à la culture des décideurs mais pourtant Emmanuel Macron est un président cultivé). « Il a pourtant été démontré que la culture crée des emplois et des activités : si ça n’est pas pour des raisons culturelles, la culture devrait au moins être privilégiée pour des raisons économiques. Il faudrait ne plus avoir honte de la culture, qu’elle redevienne un objectif assumé car elle est un élément nécessaire pour vivre en communauté et faire nation. Il faut porter l’effort sur la création et les médiateurs de la création sans lesquels elle n’atteint pas sa cible. »

À propos de l’art contemporain, il a ajouté : « je ne crois pas que l’art contemporain soit élitiste : son image est perturbée par les prix du marché de l’art. L’art contemporain a besoin de passeurs et de médiateurs mais comme toute œuvre artistique, classique ou contemporaine ».

 

Pierre Rosenberg : « Sans effort, le monde de la culture vous restera fermé ! »

 

Pour accéder à la culture, la voie royale reste l’école, puis le collège et le lycée. Pour les participants au débat, le rôle de l’Éducation nationale est de loin le plus déterminant. Répondant aux questions de Robert Kopp sur l’enseignement des disciplines artistiques, Pierre Rosenberg, qui fut président du Louvre, cite en exemple le modèle italien : « L’apprentissage de l’histoire de l’art est obligatoire en Italie ; d’où une familiarité indéniable avec les œuvres d’art chez les élèves italiens qui s’approprient leur patrimoine grâce à un excellent enseignement. Il en découle un réel attachement à leur histoire. » L’académicien s’inquiète aussi de la disparition de l’ »effort » au profit de la dimension ludique mise en avant dans le domaine artistique. « Mais sans effort, le monde de la culture vous restera fermé ! »

 

Jean-Michel Wilmotte, architecte urbaniste et designer, membre de l’Académie des beaux-arts, Marianne Delestre-Calvayrac, coordinatrice de l’action culturelle en Île-de-France auprès du recteur, Pierre Rosenberg, historien de l’art, conservateur, ancien président directeur du musée du Louvre, membre de l’Académie française, Macha Makeïeff, metteuse en scène et directrice du théâtre de la Criée à Marseille et Robert Kopp, professeur à l’université de Bâle, membre du comité de rédaction de la Revue des Deux Mondes. © Marie Pagezy

 

Pour Marianne Delestre-Calveyrac, coordinatrice de l’action culturelle en Île-de-France auprès du recteur, « c’est par la complémentarité entre ministères, le dialogue avec les collectivités locales, en partant d’un état des lieux existant et concret, que l’on élabore une véritable politique d’éducation généralisée ».

 

Macha Makeïeff : « L’acte culturel est difficile et intimidant. On peut conquérir le public par la multiplicité des approches dans un même lieu. »

 

De quoi ont besoin les créateurs pour mieux partager leur art ? Des autres ! Pour Macha Makeïeff, metteuse en scène et directrice du théâtre de la Criée à Marseille, il faut abolir le cloisonnement des disciplines et « ouvrir le théâtre à des activités gratuites car l’acte culturel est difficile et intimidant. On peut conquérir le public par la multiplicité des approches dans un même lieu. Chaque mercredi nous accueillons des enfants. Comme tous les publics, il a besoin de fiction et d’intelligence. Il faut que la rencontre avec l’art soit déterminante. Une émotion dont il se souviendra. Attention à l’initiation molle et tiède. Si on rate le choc initial, si le rendez-vous est loupé et que l’enfant est déçu, le désir est cassé et l’expérience ne sera pas réitérée par l’enfant sans aide extérieure ». Macha Makeïeff s’insurge aussi contre la condescendance des institutions envers la province et souhaite qu’un grand auditorium soit construit dans la cité phocéenne, près des plages pour que les jeunes y accèdent plus facilement.

La préservation du fabuleux patrimoine de la France est l’autre grande priorité de la culture, elle permet le rayonnement de la France et contribue à son dynamisme économique. Jean-Michel Wilmotte, architecte, urbaniste et designer, reconnaît que le mouvement des « gilets jaunes » a poussé le monde de l’architecture à faire des propositions. « Le métier d’architecte nous place au centre de la culture de la ville et de son futur, avec l’habitat privé et surtout l’espace public ; il faut ramener une joie de vivre et une identité. Prévoir des lieux d’échanges culturels dans tous les projets de rénovation urbaine. Nous avons de véritables joyaux architecturaux partout en France mais en mauvais état. » Selon lui, le loto du patrimoine ne suffit pas. « Des milliers de bâtiments sont abandonnés, en friches, pourquoi ne pas les mettre à la disposition d’artistes ou de fondations culturelles en échange de rénovation ? »

 

« Erik Orsenna propose un “moratoire des dépenses culturelles” par la Cour des comptes. »

 

Grand témoin de cette matinée de débat, l’académicien Erik Orsenna a conclu la rencontre sur un constat et plusieurs pistes de réflexion.

Le constat : ces dernières années, deux pactes ont été rompus, l’un avec l’espérance (hors classes favorisées, le niveau de vie des enfants sera pire que celui de leurs parents), l’autre avec le savoir (la science est remise en question et on assiste à l’avènement des faits alternatifs), le tout combiné avec un illettrisme qui touche deux millions et demi de Français dont 70 % sont originaires de foyers dans lesquels les deux parents parlent le français. Un scandale qui doit être combattu par l’évaluation de nos méthodes d’apprentissage de la lecture. Car la lecture, c’est l’accès des accès. Il est hors de question que 20 % des élèves en sixième ne maîtrisent pas le français. Erik Orsenna, nommé ambassadeur de la lecture par Françoise Nyssen lorsqu’elle était en charge de la Culture, a remis à la ministre un rapport sur l’extension des horaires des bibliothèques il y a un an. Il plaide pour des bibliothèques qui soient des médiathèques, lieux de lien social et générationnel. Pour en finir avec le sempiternel et mortifère « la lecture ce n’est pas pour moi, la culture, ce n’est pas pour moi ».

En ce qui concerne le ministère de la Culture, l’académicien ne mâche pas ses mots : « Aucune administration ne devrait être inscrite dans le marbre alors que la situation évolue constamment et que la France d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle de 1981. » Erik Orsenna propose un « moratoire des dépenses culturelles » par la Cour des comptes pour connaître notamment la proportion des investissements réservés à Paris versus les régions. Autre idée : « un seul baccalauréat, sans spécialité, afin que tous les jeunes puissent bénéficier d’un même socle d’apprentissage qui comprendrait tous les savoirs, y compris culturels. »

Les différentes propositions émises pendant la rencontre du 11 mars « Quelle place pour la culture ? » organisée par la Revue des Deux Mondes seront publiées sur le site du grand débat national mis en place par le président de la République Emmanuel Macron. Elles seront également transmises au ministre de la Culture Franck Riester.

(Photo : Teresa Cremisi , Laurent Petitgirard , Ingrid Levavasseur , Hervé Digne et Valérie Toranian à la séance de débat organisée par la Revue des Deux Mondes à la Fondation Dosne-Thiers dans le cadre du grand débat national, le lundi 11 mars 2019. © Pierre Perusseau / Bestimage)

Valérie Toranian - La Revue des Deux Mondes

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